Année 1902
Déo Gratias Fiat Volontas tuas
Le 1er Janvier 6h du soir - A gui l'an neuf!!!
... Eh bien! non, je ne suis pas en verve du tout et me voilà penchée sur ma feuille blanche complètement à sec d'idées. Mais par exemple ma bourse n'est pas vide comme ma tête, j'ai des étrennes des étrennes, une véritable avalanche et ce n'est pas encore fini je l'espère. Je suis très perplexe, je me demande si je ferais mon journal tous les jours ou de temps en temps quand j'en aurais envie, je crois que c'est à cette dernière décision que je m'arrêterais. Je souffre des dents ce qui ne m'amuse pas du tout, la nuit dernière je suis restée longtemps éveillée me tournant et me retournant dans mon lit sans pouvoir retrouver le sommeil.
Par contre ce qui me fait bien plaisir c'est qeu papa viendra mardi prochain.
Hier, je suis allée avec Renée chez les dames Gallo; Mr Gallo est venu nous chercher en voiture à 8h1/2. L'après-midi nous avons fait une promenade dans Riols, nous sommes entrées dans un petit chalet bâti à l'entrée des grottes nouvellement découvertes. Le Docteur a un très joli cabinet, un vrai cours d'histoire naturelle, martins-pêcheurs, hiboux, corbeaux un superbe ibis, une bellette, des écureuils l'ornent. La fréquentation d'autres jeunes filles me donnera plus de vivacité et de gaité, ce dont j'ai grand besoin.
Vendredi 3, 2h - Plus de mal aux dents, plus d'engelures, 25f que m'envoie Grand'Mère Cord!....
En voilà une provisions de bonheurs. J'ajoute à celà que la température est d'une douceur exceptionnelle. La corne d'abondance répand à profusion ses trésors.
Ce matin j'ai étudié mon piano pendant 2h et j'ai fini de lire "la Grande Amie" qui est un roman très bien écrit. Mais voyons, si je faisais un peu de philosophie ou plutôt l'étude de mon âme? J'ai hésité jusqu'à mainteant pour faire cette étude psycologique parce que j'ai pensé que ma plume inexercée serait impuissante à traduire ce que je sens, toutes mes impressions. J'ai réfléchi a tout cela cette nuit (je n'ai cependant pas eu d'insomnie j'ai même très bien dormi) c'est avant de m'endormir après avoir mis mon sommeil sous la protection de Dieu que j'ai fait toutes ces réflexions.
Ce qui fait que je parle si peu, c'est que je suis dans une perpétuelle rêverie, toujours la même: les personnes et les choses y sont vaguement estompées, comme dans un songe, aussi ne puis-je traduire par la parole des choses aussi vaporeuses et indéfinies. Ma pensée voyage parmi les brouillards du nord quand ma personne se trouve bel et bien dans le midi à Ardouane par Riols (Hérault). C'est pourquoi "Claire" a l'air si ennuyé et (en personne sensée) dit quatre mots par jour. Il est vrai que le soir je suis un peu plus expansive et qu'à ce moment là je ratrappe letemps perdu. Et après une confession que fait-on? Un acte de contrition. - Et puis? On prend de bonnes résolutions. - Et puis? - Et puis... on les tient:::
Samedi 4, 7h du soir - Je reviens de Riols et je me dépêche d'écrire car on va appeler pour diner. Nous sommes allées chez les dames Gallo, mais je ne m'y suis pas beaucoup amusée, je préfèe parler de la belle soirée par laquelle nous sommes revenues, le ciel est constellé d'étoiles si brillantes qu'elles remplacent la clarté de la lune qui fait défuat. Dieu les a sans doute semées pour nous montrer avec quelles profusion il prodigue ses bienfaits.
Dimanche 5, 11h moins 1/4 - Je suis allée à la messe de 8h et j'ai fait la sainte communion. Nous venons de faire notre chambre avec Renée. Il fait encore un temps délicieux malgré le vent qui souffle on ne se croirait vraiment pas au mois de janvier; peu ou point de neige, pas de glace; l'hiver ne nous a pas encore fait sentir ses rigueurs. Je viens encore de faire une tâche, c'est que j'ai un encrier à surprise, tantôt on enfonce pas assez la plume, tantôt on l'enfonce trop; chaque fois que je m'en sers, je me mets de l'encre au bout des doigts, de l'encre au bout du nez et... de l'encre sur mon papier.
L'autre jour, il m'es venu une idée; si je faisais des enluminures à chaque page de mon journal? Ce serait assez joli.
Lundi 6, 6h1/2 du soir - Nous sommes à la chambre à donner au coin du feu; mon Oncle lit et Renée fait de la dentelle du Puy, quant à Tante, elle était allée au Sembel, mais je l'entend qui rentre. Elle nous dit que les adjudicateurs sont au couvent et ont mis les scellés partout. Nous sommes allées en promenade jusqu'à Prémians il fait toujours du vent et le temps s'est refroidi sensiblement. Renée a essayé de mettre des tableaux dans notre chambre mais les clous n'ont pas pu entrer dans le mur cela l'a beaucoup défaitée et pendant tout le temps de la promenade elle cherchait le moyen de faire tenir des tableaux sans clous. Quel bonheur que Papa vienne demain nous saurons probablement par le facteur à quelle heure il arrivera. Je viens de faire mon étude d'Histoire. A demain, cher journal.
Vendredi 10, 6h - Papa est arrivé mardi soir et depuis je n'ai pas trouvé une minute pour écrire. Enfin ce soir je m'y mets, mais il n'est pas dit que je vois tranquille longtemps. Nous sommes donc allés, marid, attendre Papa à la gare de Prémian, à 3h1/2, comme nous étions en avance, j'étais un peu désoeuvrée, il m'est venue une idée géniale: je me suis pesée.... mais je ne connaissais pas le maniement de la bascule; avec l'aide de mon Oncle je suis arrivée à constater que mon poids est de 54 k. Cette gare est très petite il n'y a même pas de chef de gare c'est une chefesse ou plutôt une garde-barrière qui en tient bien.
Mercredi nous avons fait une promenade très pitoresque, malheureusement Renée était enrhumée et n'a pas pu venir. L'endroit où nous sommes allés ss'appelle la Petite Suisse, nous avons traversé une rivière et nous avons passé par des sentiers escarpés, bordés de chênes-verts. Hier nous avons fait une tournée de visites à Riols : Fraïssé, de la Baume, Andry, Gallo et pendant ces stations plus ou moins longues je baillais d'émotion... ou peut-être d'ennui! ce qui me forçait à tenir mon mouchoir à la main, car lorsque je baille je pleure et lorsque je pleure je me mouche, etc, etc.
Aujourd'hui a tout de même été plus fertile en distractions; dabord ce matin j'ai fait ma chambre en entier toute seule puis j'ai fait celle de Papa avec Renée et je me suis mise au piano jusqu'au moment de diner. A peine étions nous sortis de table que la famille Gallo est arrivée. Avec Marie nous sommes allées cueillir des violettes nous avons parlé, nous avons gouté; après goûter elles sont parties (je parle de Jeanne et de Marie, Mr et Mme Gallo étaient passé devant) Papa qui avait pris sa bicyclette nous a donné quelques leçons, Renée y est dabord montée puis moi, puis Marie; en revenant Tante a aussi fait un essai. En un mot: journée agréable. Papa nous a donné des nouvelles de Maman de mes deux grand'Mères et de Tante Thérèse, i lnous a apporté les monologues de Mme Chénard qui nous font beaucoup rire et l'Armanan Provençan. On va diner, j'ai eu juste le temps de terminer.
Samedi 11, 5h du soir - Il fait plus froid, le matin la terre est couverte de gelée blanche. Nous avons fêté les rois, mon Oncle a été roi et ma Tante reine.
Lundi 13, 6h du soir - Je n'ai pas une minute à moi, je viens d'étudier mon piano et ce serait l'heure d'étudier mes leçons, mais je préfère faire mon journal parce que j'ai beaucoup de choses à dire et que ma mémoire est toute fraiche. papa est parti Dimanche à 9h. Il devait prendre le train de 4h du matin et lorsque je lui ai dit adieu samedi soir j'étais toute triste; je n'aime pas les séparations le soir, aussi ai-je été très contente lorsque j'ai su qu'il avait manqué le train. Ah! pourquoi ceux que nous aimons ne sont-ils pas toujours auprès de nous? ce bonheur-là n'existe sans doute qu'au ciel.
Hier soir nous sommes allées chez les Dames Gallo, il y avait en même temps que nous un monsieur et sa fille, une jeune fille de 17 ans grand, très mince, blonde, portant un chignon bas et tressé, elle me faisait penser à ces gravures de mode du Magasin des demoiselles d'il y a cinquante ans. Son père est convalescent et peut à peine se trainer mais il a une fort belle voix et est très bon musicien; c'est un artiste. Il a chanté avec Jeanne un duo des dragons de Villars et "une nuit à Venise". Mademoiselle de la Baume a aussi chanté, elle a une voix agréable. Renée qui s'est fait entendre dans le Lac a été comparée à la Marguerite de Faust par ce monsieur quant à moi, j'ai joué très médiocrement la dernière Pensée de Weber.
Aujourd'hui nous sommes allés en promenade jusqu'à la porte de Riols, nous avons rencontré les Delles Gallo et deux de leurs cousines Salvagnac. Il faisait très beau presque trop chaud, j'avais ôté mon collet. On appelle pour diner, mon cher journal, au plaisir de te revoir.
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